En 1966, des intellectuels (Henri Atlan, Jacques Attali, Henri Laborit, Edgar Morin, René Passet, Jacques Robin, Michel Rocard, Joël de Rosnay, Michel Serres, Jacques Testard,…) appartenant à des disciplines différentes (biologie, économie, sciences sociales, écologie, philosophie, juridique, politique,…) décident de confronter leurs savoirs dans le but d’élaborer une réflexion dynamique sur la société.
La référence : Jacques Robin & le Groupe des Dix
Forum Changer d’Ère est un hommage au livre Changer d’Ère (Seuil, 1989) l’oeuvre majeure de Jacques Robin (1919-2007), fondateur du Groupe des Dix(1), et aux pionniers de la systémique, penseurs visionnaires, qui ont voulu changer le monde, inspirent aujourd’hui encore les jeunes générations.
Inspiré par les travaux, les réflexions, l’ambition de contribuer à construire un monde meilleur, plus équitable et « respirable », Forum Changer d’Ère, rendez-vous majeur de prospective sociétale, veut marcher dans les pas du Groupe des Dix.
Jacques Robin (31 août 1919 – 7 juillet 2007) était médecin, ancien interne et ancien assistant des Hôpitaux de Paris, a été directeur général du laboratoire Clin-Midy (l’une des composantes majeures de l’actuel Sanofi) pendant 15 ans, puis conseiller du président de Clin-Midy pendant 5 ans. Jacques Robin a fondé le Groupe des Dix et de la revue Transversales Science/Culture et du GRIT. Ce pionnier de la transdisciplinarité a consacré sa vie, à travers le Groupe des Dix, le CESTA, le GRIT, VECAM ou Transversales Sciences/Culture, à tenter de relier les savoirs disciplinaires.
Auteur de nombreux ouvrages : De la croissance économique au développement humain (avec la collaboration du Groupe des dix. Préface de René Passet. Seuil, 1975) ; Le Jaillissement des biotechnologies (Fayard, 1987) ; Quand le travail quitte la société post-industrielle (GRIT, 1994) ; Sortir de l’économisme : une alternative au capitalisme néolibéral (sous la direction de Philippe Merlant, René Passet et Jacques Robin. Éds. de l’Atelier/Éd. ouvrières, 2003). Quelques mois avant sa mort, il publie L’urgence de la métamorphose (avec Laurence Baranski. Des idées & des Hommes, février 2007. InLibroVeritas, 2008. Son livre est Préfacé par René Passet et postfacé par Edgar Morin, ses compagnons de route).
Relier les savoirs disciplinaires
Dans Changer d’ère (Seuil, 1989), son œuvre majeure, Jacques Robin expliqu’il a voulu « explorer des pistes de réflexion et d’action dans les domaines clés de l’économie, des comportements, de la démocratie et de l’éthique, et tente de définir les conditions de réalisation du grand dessein auquel nous sommes conviés : sortir enfin de l’ère néolithique ». C’est à son livre et à la pensée du Groupe des Dix que fait référence le Forum Changer d’Ère.
Si le Groupe des Dix est peu connu du public, ses membres les plus actifs ont profondément marqué la vie intellectuelle, certains ayant eu une influence au-delà de nos frontières. Edgar Morin est renommé dans le monde entier pour sa théorie de la complexité et sa politique de civilisation. Jacques Attali pour sa carrière brillante d’économiste. Michel Rocard, ancien Premier ministre socialiste de François Mitterrand, pour le « rocardisme ». Des échanges au sein du Groupe des Dix sont nées des œuvres majeures, notamment : la «Théorie sur la construction de l’ordre par le bruit », L’organisation biologique et la théorie de l’information du Pr Atlan ; Eloge de la fuite et La ville (sur la ville en tant que système) du Pr Henri Laborit ; Le paradigme perdu. La nature humaine ou La Méthode d’Edgar Morin ; L’économique et le vivant de René Passet ; Changer d’ère de Jacques Robin ou Le Macroscope de Joël de Rosnay.
Un moment de foisonnement intense d’idées
Le Groupe des Dix est né à la fin des années 1960 dans un climat de contre-culture, sous l’impulsion des grands changements politiques et sociétaux de 1968. A l’issue d’un colloque réunissant biologistes, sociologues, et philosophes, Jacques Robin propose à Robert Buron, Henri Laborit et Edgar Morin de créer un groupe de réflexion transdisciplinaire pour mieux cerner les rapports entre sciences et société. Ils seront rejoints par Joël de Rosnay, Jacques Attali, Henri Atlan, André Leroi-Gourhan, René Passet, Michel Serres… convaincus de la nécessité de décloisonner les travaux entre les différentes disciplines et d’en relier les connaissances pour appréhender le monde dans sa complexité. A la mort de Robert Buron, le Groupe des Dix s’enrichit encore de deux personnalités, politiques cette fois, Michel Rocard et Jacques Delors.
Dans le cadre de dîners organisés régulièrement au domicile de Jacques Robin et son épouse Annie, les penseurs du Groupe des Dix explorent des domaines aussi vastes que la cybernétique, la théorie de l’information, les relations entre violence et politique, les problèmes drainés par la croissance économique, ou les rapports masculin-féminin. Ouvert aux idées nouvelles, le Groupe des Dix s’intéresse à la démocratie participative, à l’autogestion, à la théorie de l’information… Fasciné par les théories de l’auto-organisation et de la dynamique des systèmes complexes, il s’inscrit, En France, dans la lignée de l’Ecole de Palo Alto, de l’Institut de Santa Fe aux Etats-Unis ou de l’Ecole libre de Bruxelles.
Il tente de comprendre un monde en pleine mutation, hors de toute idéologie, ou dogmatisme. C’est le Groupe des Dix qui lancera les premières conférences sur l’intelligence artificielle et la cognition. Chacun est invité à s’exprimer très librement, sans lutte de pouvoir ni recherche de domination des uns sur les autres. Dès cette époque, les membres du Groupe des Dix tentent de faire essaimer l’idée de transdisciplinarité et de sensibiliser à la vision systémique : pour une approche transversale des problèmes (en mêlant différentes disciplines) plutôt qu’en juxtaposant les connaissances. L’aventure du Groupe des Dix va durer près de dix ans. Chaque mois, de février 1969 à décembre 1976, ce petit groupe va vivre un moment de foisonnement intense d’idées et d’échanges féconds. « Catalyseur » d’intelligence collective, il va inviter les esprits les plus originaux de son époque à participer à ses réunions informelles. Des grands intellectuels, philosophes, sociologues, chercheurs, économistes, écologistes, politiques… André Bourguignon, Alain Caillé, Cornélius Castoriadis, Jean Chesneaux, Jacques Delors, René Girard, André Gorz, Félix Guattari, Stéphane Hessel, François Jacob, André Leroi-Gourhan, Gérard Mendel, Jacques Monod, Armand Petitjean ou Jacques Testart… vont ainsi contribuer à nourrir et faire essaimer « la pensée complexe » initiée par les membres du Groupe des 10.
A partir des années 1980, la réflexion initiée par le Groupe des Dix s’est poursuivie au sein du GRIT (Groupe de Recherche Inter et Transdisciplinaire) et de Transversales Science/Culture.
L’humanité entrait dans quelque chose de totalement nouveau…
Désireux de rapprocher intellectuels, politiques et scientifiques pour élaborer une réflexion dynamique sur la société, ils proposent des actions aux décideurs politiques et économiques. Rares sont ceux qui prendront la mesure de ce qui était en train de se produire. Les pionniers de la systémique comprennent qu’il leur faudra emprunter des voies détournées pour se faire entendre, notamment l’écriture. Leurs ouvrages sont autant de messages forts. Hélas, peu de leaders politiques, à l’exception de Jacques Attali, Jacques Delors ou Michel Rocard, reprendront à leur compte les réflexions du Groupe des Dix sur la systémique et la complexité, et à alerter sur la nécessité d’une société future plus égalitaire, ou d’une « anthropolitique », d’une réflexion sur les relations entre science, société, politique et environnement.
Visionnaires, les penseurs du Groupe des Dix ont compris et annoncé, avant tout le monde, que l’humanité entrait dans quelque chose de totalement nouveau : la révolution informationnelle. Un bouleversement « pouvant être comparé à l’entrée dans l’ère du néolithique il y a douze mille ans » dira Jacques Robin, alors que « cette nouvelle ère -en plus d’importantes transformations technologiques- donne lieu à de profondes mutations anthropologiques. Nous pressentons qu’elle va transformer jusqu’à la nature biologique de l’être humain.
Elle va modifier les relations hommes/femmes (avec l’émergence des femmes et la fin du patriarcat), nos rapports avec les autres, avec l’écologie, la science, la culture, la religion, notre façon de penser ou notre manière de voir la vie. » (« Un autre monde est possible ». Les Di@logues Stratégiques, 2005) : « Nous commençons aujourd’hui seulement à prendre conscience de la nouvelle ère dans laquelle nous entrons : l’ère de l’information(…) Même si nous pensons que le monde n’a peut-être pas de projet, il nous est offert de donner un sens à nos vies et de chercher à situer notre place dans l’évolution de l’humanité(…) Cette transformation est énorme parce qu’elle associe à une complète transformation technologique des transformations anthropologiques » observait Jacques Robin (« Un autre monde est possible »). « Alors que nous sommes à la fois témoins et acteurs d’une des plus importantes transformations de l’histoire de notre humanité, ne cherchons-nous pas à en comprendre les causes ? Pourquoi ignorons-nous ce phénomène ? Est-ce parce que nous avons peur de regarder la vérité en face ? Est-ce parce qu’il va falloir changer radicalement nos manières de penser, d’être, de vivre ? Quand la technologie nous donne les moyens d’intervenir sur la vie, que décidons-nous ? Est-ce que travailler plus pour consommer toujours plus va rendre l’être humain plus épanoui ? ».
En réunissant les penseurs de la systémique, des intellectuels, des scientifiques, des analystes du changement, des décideurs, des jeunes entrepreneurs et chercheurs… le Forum Changer d’Ère, qui se nourrit et des travaux et des réflexions des penseurs qui l’ont animé, va tenter d’apporter des réponses à ces questions et de trouver un chemin vers un avenir meilleur.
(1) Les membres de l’ex Groupe des 10 : Henri Atlan, Jacques Attali, Jean-Pierre Dupuy, Edgar Morin, René Passet, Michel Rocard, Joël de Rosnay, Roger Sue, Patrick Viveret, ont parrainé la première édition du Forum Changer d’Ère et participé au passage de relais aux jeunes générations.
Pour aller plus loin :
- Découvrir le parcours de Jacques Robin sur le site de Transversales Sciences/Culture : « Du Groupe des 10 à Transversales… »
– Lire les Dossiers de Transversales Science/Culture
– Lire le résumé du livre de Brigitte Chamak : Le Groupe des Dix ou les avatars des rapports entre science et politique. Entretiens avec Henri Atlan, Jacques Attali, Jack Baillet, Jean-François Boissel, Alain Laurent, Edgar Morin, René Passet, Annie Robin, Jacques Robin, Michel Rocard, Joël de Rosnay, Jacques Sauvan, Michel Serres (Editions du Rocher, 1997).
– Lire la « Charte de la Transdisciplinarité » rédigée par le sociologue Edgar Morin, le physicien français d’origine roumaine Basarab Nicolescu et le peintre portugais Lima de Freitas (adoptée à l’issue du 1er Congrès Mondial de la Trandisciplinarité. Convento da Arrábida. Portugal, 2 au 6 novembre 1994).
– Lire l’interview portrait de Jacques Robin dans Les Di@logues Stratégiques : « Un autre monde est possible ».